Le point de départ du délai de prescription des recours entre constructeurs
Par un arrêt du 16 janvier 2020 (n°18-25.915), la Cour de cassation avait jugé d’une part que le recours d’un constructeur contre un autre constructeur, ou son sous-traitant, relevait des dispositions de l’article 2224 du Code civil, et se prescrivait ainsi par cinq ans à compter du jour où le premier avait connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer.
La Cour de cassation fixait, d’autre part, comme point de départ du délai de prescription l’assignation en référé-expertise, laquelle mettant en cause la responsabilité de ce dernier.
Si cet arrêt avait certainement pour but de restreindre les recours des constructeurs, il a en réalité conduit à des effets pervers qui ont nui à la bonne administration de la justice, ce que reconnait d’ailleurs expressément la cour de cassation.
En effet, les constructeurs, afin de ne pas voir leurs recours prescrits, étaient régulièrement contraints d’assigner aux fins d’appel en garantie les autres intervenants à l’acte de construire avant d’avoir été eux-mêmes assignés au fond par le demandeur principal.
Les constructeurs formaient des recours purement préventifs, multipliant ainsi les instances et les demandes de jonctions.
L’arrêt rendu le 14 décembre 2022 est salutaire pour les juridictions lassées de devoir gérer un flux important d’affaires visant à interrompre préventivement la prescription.
La Cour de cassation revient ainsi sur sa jurisprudence décriée et statue ainsi :
« La multiplication de ces recours préventifs, qui nuit à une bonne administration de la justice, conduit la Cour à modifier sa jurisprudence.
Le constructeur ne pouvait agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction de ces demandes principales ».
Un point de vigilance doit toutefois être soulevé.
L’arrêt commenté précise expressément :
« Dès lors, l’assignation, si elle n’est pas accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l’action du constructeur tendant à être garantie de condamnation en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures ».
Aux termes de cette décision, la cour considère que l’assignation en référé expertise ne peut à elle seule constituer le point de départ du délai de prescription du recours entre coobligés.
Cependant, l’assignation en référé-provision, dès lors qu’elle constitue une demande de reconnaissance d’un droit, reste soumise à l’ancienne jurisprudence rendue par la Cour de cassation le 16 janvier 2020 (n°18-25.915).
Il est à noter que les juridictions administratives jugeaient déjà que le point de départ du délai de prescription ne pouvait démarrer qu’à compter de l’assignation au fond (CE, sous-sect. réun., 10 février 2017, n° 391722), considérant que :
« une demande en référé expertise introduite par le maître d’ouvrage sur le fondement de l’article R532-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme constituant, à elle seule, une recherche de responsabilité des constructeurs par le maître d’ouvrage ».
La Cour de cassation s’aligne donc sur les juridictions administratives.
Enfin, la Cour prend le temps d’indiquer que :
« La jurisprudence nouvelle s’applique à l’instance en cours, dès lors qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ».
L’application immédiate de ce nouveau principe permettra aux professionnels de régulariser les procédures à l’encontre des intervenants concernés, et oubliés.